– « Rhaaaa… Tu es super en forme ! Quelle chance tu as. Je perdrais bien un peu de gras aussi… »
– « Bah, tu sais, c’est pas si compliqué. Une alimentation équilibrée, un peu de sport, une touche de patience,… Le tout, c’est de se lancer. »
– « Oui mais non, j’ai pas le temps. Pour moi, c’est compliqué. Tu as trop de chance. »
Je suis fatiguée d’entendre que j’ai de la chance. Je ne suis pas née avec un chromosome sportif supplémentaire. J’ai pas une passion dévorante pour le riz et le poulet. J’ai pas non plus été recueillie enfant par les contorsionnistes du cirque du soleil. Ça se travaille. Tout se travaille.
Et, à vrai dire… C’était même tout le contraire. J’ai pas toujours pu glisser mes fesses dans des jeans skinny (et de toute façon, je préfère les shorts). J’ai pas toujours pu m’offrir les corsets que j’aime tant. Je me contentais de baver devant, la main dans un paquet de chips, en me disant qu’elles avaient bien de la chance, ces nanas, d’être jolies, fines et bien dans leur peau (hé oui).
A force de baver, je me suis vue dans mon miroir de salive et ça m’a fait un choc. Alors un matin, comme ça, je me suis mis un coup de pied aux fesses et j’ai pris un abonnement à la salle de sport.
A posteriori, malgré mes presque 82 kg au compteur, je ne pense pas que j’avais un réel problème de poids. Je m’explique. Le problème, c’était pas mon image, pas les bourrelets, pas la malbouffe,… C’était mon petit coeur. Un petit coeur triste et un sentiment vertigineux de vide. De rien. Un espèce d’angoisse permanente et incontrôlable. Une tristesse infinie. Un trou béant que rien ne semblait pouvoir combler et, pourtant, je me suis donnée un mal de chien pour le remplir. Pas par plaisir mais par « besoin », par compulsion.
J’étais intimement persuadée que quelques kilos de moins résoudraient tous mes problèmes. Que je serais plus affirmée. Plus à même d’affronter le vide, l’ennui, la frustration et tous ces sentiments auxquels je n’arrivais pas à faire face (et qui semblaient si faciles à assumer par le reste du monde). Et, effectivement, pendant un temps, ça a marché…
J’ai fait de l’exercices. J’ai réduit mes portions. J’ai noué de nouvelles amitiés. Les premiers résultats sont arrivés. Les inconnus se retournaient sur mon passage et les mieux-connus se répandaient en félicitations. C’était magique ! Et pourtant… J’ai vite eu l’impression que mes gentils supporters exagéraient leurs encouragements. Je voyais pas les « merveilleux progrès » qu’ils me décrivaient. J’étais fatiguée. J’avais mal partout. J’étais grognon.
La nourriture a recommencé à poser problème. J’ai toujours eu des soucis plus ou moins prononcés avec certaines textures d’aliments (mous, mouillés ou gluants), les mélanges, les plats en sauce, la pâtes avec des trous, … à un point tel que je ne pouvais plus manger des aliments qui se touchaient. Cela dit, comme ça ne ressemblait à aucun trouble alimentaire « connu », ça ne m’a jamais vraiment alerté. Peu de choses m’ont vraiment alertée avant de toucher le fond. Au sentiment de vide s’est substitué celui du « pas assez ». Le soulagement de départ s’est très (trop) vite atténué.
Donc, j’ai fait ENCORE PLUS d’exercice. J’ai réduit mes portions toujours plus, au point que je n’ai pratiquement plus rien mangé. Les repas sont devenus un calvaire. De savants calculs. De la chasse aux calories. Et ça marchait… ça marchait tellement bien… J’étais toute puissante ! Pourquoi arrêter en si bon chemin ?
Les pesées sont devenues quotidiennes. Trois fois, six fois, onze fois par jour. Je me suis trainée à la salle. Je me suis traînée à la maison. Je me suis endormie partout où je trouvais du calme. J’ai pleuré de douleur quand mes articulations ont commencé à craquer. J’ai pleuré de désespoir pour 100g de perdu « seulement ». J’ai arrêté de voir des amis pour « manger un bout » ou « boire un verre ». Je pense que je n’aurais tout simplement pas supporté qu’ils me voient manger.
Après la naissance de mes petits, je suis donc passée de 82kg à 50Kg en un temps record. Et là… Ça a recommencé à jaser. Trop maigre, trop fatiguée, trop lasse, trop irritable. Jusqu’à ce jour où j’ai été trop fatiguée pour jouer avec mes bébés, où tout mon temps libre passait dans le sport et où mon mari était une ombre que je voyais le matin et le soir entre deux séances de torture.
Tout ça pour quoi ? Pour continuer à me trouver « obèse » et « grasse » sic même quand je voyais mes vêtements pendre sur ma peau. J’ai perdu des cheveux, des ongles et des amis. Il y avait des jours où je ne reconnaissais pas mes traits dans le miroir, où je ne reconnaissais plus mes traits de caractère. Toujours épuisée. Toujours irritée. Arrive le moment où il faut que cela s’arrête… Il a fallu que je touche le fond pour pouvoir taper des pieds et remonter.
Alors, j’ai levé le pied. J’ai recommencé à manger. Timidement, au début… « Normalement », maintenant.
J’ai écarté de ma route les gens trop bien pensants ou trop inquiets de ma « santé ». Ceux qui avaient toujours de bons conseils mais jamais de temps pour moi.
J’ai l’impression que maintenant, je m’écoute plus et mieux. Je mange pour moi. Comme je le veux et comme je le sens (et comme tout le monde devrait avoir le droit de manger). Le sport n’est plus une punition pour les calories ingérées, ni une carotte pour une vie meilleure… C’est un plaisir ! Une passion. Même si ça reste un équilibre encore instable par moment… J’ai le sentiment de mieux gérer mes angoisses et mes doutes.
MAIS
Gardez une chose à l’esprit…
Chaque remarque sur ce qu’on mange ou ne mange pas, cela peut être un coup de fourchette que vous plantez dans le dos de votre interlocuteur.
Parce que, quand manger est devenu un effort conscient, les petites phrases comme » attention, tu vas grossir « ou « tu finis pas ton assiette, tu retombes dans tes vieux travers » … c’est souvent synonyme de trois pas en arrière.
C’est une assiette vide.
C’est la nausée.
C’est la faim…
Il ne faut pas être dodue pour avoir des problèmes de nourriture.
Il ne faut pas être filiforme pour avoir des problèmes de nourriture.
TOUT LE MONDE peut être concerné.